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Entretien avec Pierre Raufast, écrivain passionnant et audacieux dont les histoires insolites nous invitent à réfléchir.

L'auteur de La fractale des raviolis a publié cette année le 3ème tome de la trilogie baryonique, Le Dôme de la méduseAux Forges de Vulcain


"J’aime jouer avec le lecteur, mêler informations vraisemblables et improbables"

VS : Dès La fractale des raviolis, vous vous êtes démarqué pour votre talent à tirer des histoires insolites à partir d’anecdotes extraordinaires. Votre inventivité se ressent jusque dans votre style avec plusieurs types de narrations.

L'incursion que vous faites dans la SF, est-ce un souhait de rompre avec ce style ou un moyen de nous surprendre encore ?

    

PR : C’était avant tout un souhait de changer de structure et de rythme.

J’aime réfléchir à la manière de raconter une histoire, et cette approche m’a permis de me démarquer, surtout en débutant à 40 ans. Quand j’ai commencé à écrire, mon 1er roman faisait 3 pages. J’ai du mal avec les descriptions, je suis plutôt très synthétique et donc le format « nouvelles » me convenait mieux. Sauf que les nouvelles, en France, ça ne se vend pas bien.

J’ai donc réfléchi à une astuce de structure permettant de transformer des nouvelles en roman. C’est la naissance de La Fractale des raviolis, avec cette structure en poupée russe qui maintient le suspense et pousse à lire chapitre après chapitre.

Avec le temps, j’ai exploré d’autres structures, comme dans La variante chilienne, qui fonctionne comme des cailloux qu’on prend dans un bocal. Chaque caillou est une histoire. Et ainsi de suite avec Habemus Piratam et Les Embrouillaminis avec une structure plus complexe.

Passer à la science-fiction m’a permis de renouveler le lieu, le temps, et d’adopter un style inspiré des séries télé avec des scènes qui alternent régulièrement pour donner du rythme et du suspense.

Je voulais aussi un ton un peu plus sérieux en évitant les clichés, comme l’humour forcé des marvels.

En général, quand je réfléchis à un thème, comme tout le monde, j'ai les 3 premières idées. Eh bien en fait, je les enlève car si je les ai eu en moins de 3 secondes, c'est que ce ne sont pas les bonnes, tout le monde aurait pu les avoir.

Je regarde beaucoup de films et lis pas mal de romans qui m’aident en réalité à trouver les contre-exemples pour être original.

 J’écris ce que j’aimerais lire : des histoires insolites qui invitent à réfléchir.

Enfin, écrire de la SF est un truc assez excitant parce que ça s’inscrit dans un horizon plus lointain dans le temps, il faut inventer des univers, c’est challengeant intellectuellement.

"En général, quand je réfléchis à un thème, j'ai les 3 premières idées. Eh bien en fait, je les enlève car si je les ai eu en moins de 3 secondes, c'est que ce ne sont pas les bonnes"

VS : Comment votre trilogie baryonique a-t-elle été reçue par les lecteurs de SF ? Était-ce risqué ?

 

PR : La SF a ses codes et ses institutions, ce qui a rendu l’accueil varié. Certains ont apprécié l’approche philosophique et ont vu des idées neuves, d’autres moins. Mais je prends ces risques avec plaisir, car je n’écris pas pour vivre de ma plume.

Cela me permet d’explorer librement de nouveaux domaines, comme la SF.

 

VS : Dans La trilogie baryonique, il y a clairement 3 cycles avec 3 tons différents. Le 1er pose le dispositif scientifique, l’intrigue, avec un côté tragique. Le 2ème, c’est la quête avec un côté polar, un « whodunit » à la Agatha Christie. Le 3ème, c’est l’espoir avec en toile de fond la question éthique.

Qu’est-ce que vous voudriez que l’on retienne finalement de cette trilogie ?

 

PR : Je veux susciter des réflexions, notamment sur la panspermie[1], un sujet fascinant et peu abordé. Il soulève des questions intéressantes sur l’origine de la vie sur Terre et le devenir de l’humanité.

Mes livres offrent plusieurs niveaux de lecture : une histoire captivante avec un peu de suspense et des faits scientifiques plausibles et, pour les curieux, des pistes à explorer.

L’épisode de la bière au début est un bon exemple. On peut le lire comme une anecdote un peu drôle mais derrière il y a une vraie question sur la naissance de la vie. (Les 2 personnages dégustent une bière et plaisantent sur le fait qu’une bière n’a jamais été bue aussi loin de la Terre. Le fait scientifique derrière cette anecdote, est que la bière, de par l’un des ses composants chimiques universels, les levures, est un marqueur de l’humanité et qu’il pourrait donc être le signe d’une existence extraterrestre).

 

VS : Votre imaginaire bluffant rappelle celui de Daniel Wallace (Big Fish).

Comment concevez-vous cet équilibre entre fiction et réalité ? Autrement dit, vous êtes combien dans votre tête ?

 

PR : J’aime jouer avec le lecteur, mêler informations vraisemblables et improbables pour flouter la frontière entre vrai et faux. C’est un jeu littéraire stimulant.

 

VS : Vos romans offrent une expérience participative, culminant avec Les embrouillaminis, puisque le lecteur choisit les chapitres. Peut-on aller encore plus loin ?

 

PR : Peut-être avec de la méta-littérature.

Dans tous mes romans qui se passent dans la vallée de Chantebrie, je fais référence aux romans passés ou futurs aussi.

En fait, j’écris mes romans en biseau. Il faut environ 3 ans pour écrire un roman avec les périodes de relecture. Si vous regardez bien, j’en sors un tous les 18 mois, ce qui signifie qu’il y a des périodes de recoupements. Cela me permet de faire des allusions ou de faire revenir des personnages. Ça veut dire qu’en fait il y a une histoire qui se raconte au-dessus de l’histoire.

L’idée, peut-être, pour aller plus loin, serait de former l’histoire de cette vallée couvrant un siècle, en reliant les intrigues et les personnages.

 

​VS : Pour reprendre l’image scientifique d’un atome composé de masses qui s’attirent et se repoussent, on va toujours très loin dans vos romans : les espaces sont très étirés, les possibilités d’histoires multiples, et les personnages très opposés. Et finalement tout se rapproche avec un rapport Infini et proximité.

Dans un de vos romans, vous citez JL Borges, qui imagine une bibliothèque infinie où seraient rangés tous les livres, pensez-vous qu’il puisse y avoir un infini roman qui « rangerait » toutes les histoires, tous les personnages ?

 

PR : Oui, c’est ça, c’est l’idée de voir les livres comme des zooms, comme dans la nuit avec une lampe de poche qui éclaire différents endroits et la journée, on verrait l’ensemble du paysage.

Il y a forcément un imaginaire sous-jacent qui régit tout et par exemple, pour mes romans, le fait de les avoir ancré dans une géographie récurrente favorise les ponts possibles entre les histoires et les personnages.

 

VS : Vos récits explorent destin et choix.

Qualifieriez-vous vos romans d’existentiels ? Autrement dit, pensez-vous que nos vies sont prédéterminées ou façonnées par nos décisions ?

 

PR : Je me suis beaucoup posé cette question. Elle renvoie à la théorie du chaos qui comporte 2 grandes idées.

Une des idées est qu’un battement d'aile de papillon au Japon entraîne un ouragan aux États-Unis, et que donc des microphénomènes peuvent déclencher des conséquences par effet boule de neige.

Mais l’idée principale de cette théorie est de dire qu’il y a des attracteurs. Quel que soit l’endroit où nait un événement, il converge toujours vers une même chose.

Prenez une avalanche. Qu’elle soit déclenchée par le sapin de droite ou de gauche, finalement elle arrivera toujours au pied du chalet.

Si on fait le parallèle avec nos vies, je pense qu’il y a des attracteurs. Le 1er, c’est la mort. Il faut voir ça comme des portes de ski en slalom. Entre 2 portes, le skieur fait ce qu’il veut mais il passera toujours par la porte. Après l’enfance vient toujours l’adolescence. Et ensuite, on va vouloir vivre en couple, avoir le désir d’enfant… et ainsi de suite, la crise de la quarantaine, le divorce… Voilà, tout ça, ce sont des attracteurs. Tout le monde n’y va pas, mais globalement, tout le monde converge vers ses propres attracteurs.

On peut connaitre des variations, mais on converge vers ce qui est propre à nous. J’aurais pu avoir une femme et des enfants différents mais je me serai quand même marié et j’aurai eu des enfants. Nos vies, au bout du compte, ne sont pas foncièrement bouleversées. Je crois beaucoup à ça.

La seule chose qui peut changer, ce sont les décisions que l’on prend, mais en réalité, les décisions que l’on prend dans une vie se comptent sur les doigts d’une main.

 

VS : Vous êtes décrit comme un écrivain atypique et original. Les mots « loufoques », « jubilatoire », reviennent souvent. Comment recevez-vous ces qualificatifs ?

 

PR : Cela me flatte, car je recherche l’originalité, mais l’atypique reste une interprétation et ce n’est pas un jugement universel. J’accepte les critiques et reste conscient que tout le monde ne partage pas cet avis. Je m’aperçois que la diversité est dans le monde.

 

VS : Vous travaillez dans la cyber sécurité, vous donnez du temps à des passions comme l’informatique quantique, vous êtes romancier avec un travail préparatoire important, vous entretenez un blog avec des projets comme l’analyse de romans, vous avez aussi une vie privée.

Pierre Raufast, vos recherches scientifiques vous ont-elles permises de trouver la formule pour suspendre le temps ? Plus sérieusement, comment gérez-vous votre temps ?

 

PR : Quand j’ai commencé à écrire, je ne me projetai pas sur une carrière d’écrivain. J’ai eu la chance que La Fractale des Raviolis marche et c’est parti comme ça. L’écriture est devenue un passe-temps et un besoin physique comme quelqu’un qui fait de la course à pied ou qui joue d’un instrument de musique. Ça ne prend pas plus de temps pour écrire.

La journée, je travaille. J’écris principalement le soir et le week-end, et je prends parfois des jours de congé pour me consacrer à l’écriture.

Ce qui m’aide, c’est que j’ai une approche très analytique et structurée de l’écriture.

 

"La diversité est dans le monde"

VS : Pouvez-vous m’en dire plus ?

 

PR : J’écris d’abord un synopsis très détaillé de chaque chapitre avant de rédiger. Par exemple, j’écris 3, 4 lignes pour chaque chapitre. Ça me permet de savoir exactement ce que je dois écrire.

Il ne faut pas se louper car c’est là où je raconte l’histoire en fait. Ça demande beaucoup de boulot et de transpiration. En général, je fais ça pendant les vacances pour m’y consacrer toute la journée. Je dirais que ça représente 70% du boulot. Ensuite, je prends des plages de 2h et je commence à rédiger. Je déroule car je sais où je vais, 3 lignes deviennent 3 pages.

Ce qui est très important, c’est de dissocier la créativité de la rédaction.

 

VS : Vous avez publié votre 1er roman, La fractale des raviolis, en 2014.

10 années et 9 romans plus tard, quel regard portez-vous sur votre parcours d’écrivain ?

 

PR : C’est passé très vite. C’est marrant car je me souviens très bien de chaque roman et de l’état d’esprit dans lequel je les ai écrits. Je suis fier de mes œuvres, chacune représente un investissement personnel.

J’ai appris énormément au fil des années et j’ai hâte de continuer à explorer de nouveaux horizons littéraires.

 

VS : J’ai lu que c’était à force de lire des histoires à vos filles que vous avez commencé à inventer et à écrire, mais comment avez-vous réussi à franchir le pas, y a-t-il eu un déclic ?

 

PR : L’envie et le plaisir d’écrire.

Quand on débute, il est difficile de savoir si ce qu’on écrit est bien ou pas. Je me suis lancé avec des concours de nouvelles. Systématiquement, mes nouvelles étaient classées dans le top 3.

Ça m’a aidé à prendre conscience que mes histoires pouvaient avoir de l’intérêt. Comme les nouvelles, ça ne marche pas vraiment en France, j’ai essayé de trouver une recette pour les transformer en romans. C’est comme ça qu’est née La fractale des raviolis.

 

VS : Dans vos romans, à l’image de vos titres, les mots sont choisis, précis. Quel est votre mot préféré de la langue française ?

 

PR : « Embrouillaminis » parce qu’il est rigolo.

 

VS: Vous êtes régulièrement dans des rencontres littéraires, des salons, vous vous montrez très disponible (je vous remercie encore d’avoir accepté notre entretien), quelle question ne vous a-t-on jamais posée ?

 

PR : On me demande souvent quelles sont mes influences littéraires mais jamais les influences provenant d’autres formes d’art, comme la BD par exemple. La BD permet de se créer tout un imaginaire. Ce que j’adore en BD, comme Garfield par exemple, c’est qu’avec 4 blagues récurrentes, l’auteur fait des milliers de gag. La BD est d’une richesse créative incroyable. Je suis très admiratif de cet art.   

 

[1] Théorie selon laquelle les premiers germes de la vie seraient venus sur la planète, à travers les espaces sidéraux, d’autres mondes où la vie existait déjà antérieurement.

Les quelques recommandations de Pierre Raufast glanées lors notre entretien :

  • Le vieux marin de Jorge Amado 

  • Klara et le soleil de Kazuo Ishiguro

  • 100 ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez

  • L’anatomie du scénario de John Truby

  • Le guide du scénariste de Christopher Vogler​

  • Garfied de James Davis


Entretien mené par Vincent SOUVERAIN


RETROUVER L'ENSEMBLE DE NOS ENTRETIENS DANS NOTRE RUBRIQUE "PAROLE D'AUTEUR.E.S


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